Billie Holiday, .. Lady Héroïne
Billie Holiday est morte à l'âge de 44 ans des suites d'une cirrhose et d'une insuffisance rénale, elle mourra entre deux flics sur un lit d'hôpital. Une infirmière a retrouvé dans le tiroir de sa table de nuit un petit paquet contenant de l'héroïne. Elle a prévenu la police. Bille Holiday, mourante, est placée en état d'arrestation. Tout sa vie elle fut pourchassée pour sa toxicomanie.
Billie Holiday était une femme, noire, alcoolique, héroinomane, génie de la musique, autodidacte, libre et émancipée, au dessus de toute morale, de toute loi humaine, une amoureuse surtout. Une femme aux 1000 facettes.
L'histoire de Billie Holliday est faite d'abandons, de séparations, de maltraitances et d'abus sexuels. Ce sont ces élèments que l'on retrouve fréquemment dans le cas d'addictions sévères.
L absence du père laissera en elle des failles a jamais ouvertes.
Elle nait le 7 Avril 1915 de Sadie Fagan, âgée de 16 ans, bien trop jeune et trop attirée par la fête pour s'embarasser d'un bébé et d'un guitariste de Jazz, Clarence Holiday de deux ans son aîné qui ne la reconnaittra jamais mais dont elle prendra le nom comme nom de scène.
Ses premières années sa mère la confie à sa famille. Elle est ballotée entre des tantes et cousines qui l'éleveront, une de ses tantes se montre particulièrement cruelle avec elle. C'est le début de nombreuses maltraitances physiques qu'elle aura à subir toute sa vie.
Très jeune Eleanora Fagan, de son vrai nom, connait une période de mutisme, et est hospitalisée un mois, son arrière grand mère est décedée alors que la fillette fait une sieste dans ses bras. Elle se souviendra de la difficulté qu'elle eut à se libérer de ses bras transformés en étaux par la mort.
Eleanora est vive et enjouée, elle aime la rue, elle sait utiliser ses points pour se faire respecter. Son père, quand il est présent, la surnomme "Bill" pour son caractère bien trempé, de "petit mec".
A 9 ans elle est emprisonnée pour la première fois pour vagabondage. Sous décision de justice elle est envoyée en internat chez les soeurs du "bon berger" où les mauvais traitements et maltraitances sont monnaie courante. Elle en ressort deux ans plus tard à 11 ans.
A l'âge de 12 ans elle est violée par un voisin de sa mère, avec la complicité d'une mère maquerelle, mais c'est elle qui se retrouve en prison, la justice est ainsi faite à l'époque pour les jeunes filles pauvres et noires. A nouveau elle subit les mauvais traitements, lui s'en tirera avec quelques mois de prison.
Sa mère, entre temps, a déménagé à New York pour suivre un amant. Elle travaille dans un bar comme cuisinière et se prostitue à l'occasion.
Eleanora se retrouve seule dans les rue de Balitmore. Elle aime l'alcool frelaté, les cigarettes qui font rire, la compagnie des mauvais garçons et se prostitue à l'occasion dans des bars clandestins ou l'on joue du Jazz.
C'est à Baltimore qu'elle découvre à 11 ans le blues en écoutant les disques de Bessie Smith, "l'Impératrice du Blues" que passe la voisine de sa mère, et qu'elle tente d'immiter. Bessie Smith chante l'alcool, les amours malheureux, le desespoir.
En pleine prohibition Bessie chante "Any Bootlegger is a pal of mine", n'importe quel frabriquant d'alcool est mon ami.."Faites gaffe à vos rasoirs et à vos flingues, On va se faire arrêter quand le panier à salade va arriver" ou "Voilà trente jours que je suis en tôle, le dos au mur, geôlier, mets une autre fille dans ma cellule". Bessie Smith est, dans les années 20, à l'apogée de sa gloire.
Apprenant les errances de sa fille, sa mère la somme de la retrouver à New York. Elle prend le train pour la rejoindre mais s'arrête de son propre chef à Manhattan. Elle y fait une escale de quelques jours, errant seule dans les rues, avant de retrouver sa mère.
De retour au foyer maternel elle doit aider financièrement. Elle commence par faire le ménage chez une femme blanche qui la méprise, lui parle mal. Elle n'est pas prête à accepter les paroles condescendantes d'une maitresse blondasse. Elle quitte cet emploi et préfère, à 14 ans, travailler pour le compte d'une maquerelle qui l'installe dans un studio, lui lave son linge, la nourrit et lui trouve des clients. Mais un soir elle refuse de coucher avec un client qui fait partie de la pègre. Ce dernier lui envoie les flics et c'est à nouveau en prison qu'elle est logée.
Elle ressort épuisée, amaigrie, de ce séjour en prison, mais déjà elle parcourt les bars ou elle fredonne les titres de Bessie Smith et Louis Amstrong. C'est grâce à sa nouvelle "logeuse" qu'elle a découvert les disques de Louis Amstrong.
De maisons de redressements en passant par les bordels, elle échappe à la prostitution et à la délinquance grâce à sa passion pour le Jazz et à sa voix d'or.
Elle qui n'a jamais appris à lire une partition de musique, n'a pas d'avantage pris de cours de chant, elle retient les partitions et les mélodies et les recompose à sa manière. Son père, apprenant son succès grandissant, l'aide à s'améliorer. Mais elle refusera toujours d'apprendre à lire des partitions. Elle chante à "l'oreille".
Il accepte qu'elle prenne son nom en nom de scène, admiratif du succès de sa fille. Elle mélange le surnom qu'il lui a donné, Bill, avec le nom d'une actrice blanche qu'elle adore "Billie Dove". Son nom est trouvé "Billie Holiday".
A 17 ans, le producteur Georges Hammond la repère. Elle enregistre son premier titre "Mother in law". Bien qu'autodidacte elle impose ses choix elle choisit ses mélodies, ses musiciens.
C'est à l'occasion de l'enregistrement de ce premier disque qu'elle rencontre Lester Young, trompétiste de Jazz prometteur, qu'elle considère comme son frère, lui le "clochard celèste" la surnomme "Lady Day" "grande dame orgueilleuse et fière" ,elle, le surnomme "Prez", comme président.
Il dort chez Sadie, sa Mere, et entre Billie et lui, une amitié fraternelle indéfectible naît.
Billie Holiday est une amoureuse, une passionnée, une Baby Doll doublée d'une femme fatale, une femme aux 1000 visages, tour à tour adolescente effrontée, tapineuse sans vergogne, génie de la musique, autodidacte surdouée. Dans ses chansons elle parle de sa vie, de ses amours surtout. Elle ne sera pas particulièrement engagée dans des groupes luttant contre la ségregation, bien qu'elle la vive au quotidien depuis son enfance. Sa grand-mère a connu l'esclavage, les champs de coton. Elle a eu 10 enfants du maître blanc qui vient, les soirs, la retrouver dans sa case. Un seul fils a survécu. Elle aimait raconter à la petite Eleanora les souvenirs de cette époque. La manière dont elle vit, dont elle se rebelle contre l'odre et la morale représentent à eux seuls son combat contre l'injustice, l'injustice d'être femme, d'être noire au début des années 1900 aux USA.
En 1939 elle chante une chanson sulfureuse, écrite par Abel Meeropol, qui raconte le triste sort des noirs américains, lynchés, pendus aux arbres: "Strange Fruit".
Southern trees bear strange fruit
Les arbres du Sud portent un fruit étrange
Blood on the leaves and blood on the root
Du sang sur leurs feuilles et du sang sur leurs racines
Black bodies swinging in the southern breeze
Des corps noirs qui se balancent dans la brise du Sud
Strange fruit hanging from poplar trees
Un fruit étrange suspendu aux peupliers
Pastoral scene of the gallant South
Scène pastorale du vaillant Sud
The bulging eyes and the twisted mouth
Les yeux révulsés et la bouche déformée
Scent of magnolia sweet and fresh
Le parfum des magnolias doux et printannier
Then the sudden smell of burning flesh
Puis l'odeur soudaine de la chair qui brûle
Here is a fruit for the crows to pluck
Voici un fruit que les corbeaux picorent
For the rain to gather, for the wind to suck
Que la pluie fait pousser, que le vent assèche
For the sun to ripe, to the tree to drop
Que le soleil fait mûrir, que l'arbre fait tomber
Here is a strange and bitter crop !
Voici une bien étrange et amère récolte !
Georges Hammond refusera de la produire, par peur des conséquences. Mais il accepte de la libérer de son contrat pour qu'elle enregistre le morceau. Elle ne passera que rarement à la radio. Cette chanson, 16 ans avant que Rosa Park refuse de céder sa place dans un bus, elle l'interprete avec force et conviction.
Très peu de clubs de Jazz acceptent des noirs ailleurs que sur scène. Billie Holiday joue la plupart du temps devant un public de blancs. Alors qu'elle chante "Strange Fruit" elle est huée par les blancs dans la salle, elle se retourne soulève sa jupe et montre ses fesses nues à l'assemblée outrée.
Billy Et Ses amours
Billie aime danser, boire, chanter, elle aime le sexe, les hommes et les femmes. C est une amoureuse passionnée. L amour elle le place au dessus de toute réussite sociale et professionnelle dont elle ne semble avoir que faire.
Les hommes elle les aime rudes, brusques, violents, des "Bads Boys" qui cognent dur. On dit qu'elle passe d'un homme à un autre comme elle passe d'une note à une autre. Ses musiciens sont ses amants. Elle est libre, meneuse d'hommes avec ses amants et amoureuse soumise avec ses compagnons.
Pour Ben waster, qui roue Bilie de coups, elle chantera "We'll be together again", nous serons ensemble a nouveau.
Son premier mari, Jimmy Monroe, est un voyou notoire, mac à ses heures, il l'initie à l'héroïne et à la cocaïne, et la frappe comme presque tout les autres.
Elle divorce de Monroe et enchaîne les aventures, jusqu'à Joe Guy, lui aussi violent. Elle est célèbre et enchaine tournées sur tournées, sous la coupe de Joe Guy A son propos elle dira "Je suis rapidement devenue une des esclaves les mieux payées de la région, je gagnais mille dollars par semaine, mais je n'avais pas plus de liberté que si j'avais cueilli le coton en Virginie"
John Levy, un des pires, continue l'oeuvre des précédents mari de Billie, il la frappe, la vole et la laisse à leur rupture épuisée et ruinée.
Et pourtant elle a été jusqu'à payer de sa liberté pour cet homme. Lors d une arrestation la police trouve de la drogue chez eux. Elle appartient à John mais c'est Billie qui en prend la responsabilité, elle est condamnée à un an et un jour de prison, sacrifice d'une femme passionée.
John Mac Kay est son dernier mari, ils se marient,; dit-on, pour ne pas avoir à témoigner l'un contre l'autre pour un procès dont ils font l'objet, toujours pour usage de stupéfiant. Ils se séparent rapidement.
C'est lui qui héritera des droits de Billie Holiday.
"1000 hommes avaient laissé des grafitis d'amour autour de ses hanches" a écrit le poète belge Robert Goffin
Billie Holiday et les drogues
Billie Holiday a consommé très jeune l'alcool et cannabis. Avec Jimmie Monroe elle rencontre l'héroine. Puis consomme cocaine, LSD etc etc..
Fétarde devant l'éternel elle enchaine les soirées alcolisées avec ses amants, maitresses, musiciens et autres artistes ou inconnus.
Ses premières cures de désintoxication elle les fait seule, chez sa mère qui veille sur elle alors qu'elle endure les affres du manque d'héroine.
Le décès de sa mère, et la depression qui s'ensuit, va précipiter sa consommation de drogue et d'alcool. Elle s'alcoolise dès le matin.
Elle se décrit comme une malade qui a besoin de soin. En réalité elle sera pourchassée toute sa vie du fait de sa toxicomanie et de son alcoolisme. Elle est exclue un temps de New York, à San Fransisco elle est arrêtée par la police qui la traque, elle doit son acquittement à sa maitresse Tallulah Bankhead, comédienne d'une famille richissime qui fait jouer ses relations.
En 1947 elle prend l'initiative de se faire soigner pour 2000 euros pour 3 semaines, elle entre une cure de désintoxication. A sa sortie elle est arrêtée, un séjour gratuit cette fois-ci en prison, un an et un jour ferme pour consommation de stupéfiants et l'interdiction de chanter dans des clubs de Jazz qui vendent de l'alcool.
En 1956 elle est à nouveau arrêtée avec John Mac Kay pour possession de drogues. Un nouveau procès et une cure de désintoxication, again. Sa santé se dégrade et pourtant elle part en tournée en Europe, joue en France devant, entre autres célébrités, Juliette Greco, Serge Gainsbourgh, Françoise Sagan.
A propos de Billie, François Sagan qui assiste à son dernier spectacle à Paris, écrit: « C'était Billie Holiday et ce n'était pas elle, elle avait maigri, elle avait vieilli, sur ses bras se rapprochaient les traces de piqûres. […] Elle chantait les yeux baissés, elle sautait un couplet. Elle se tenait au piano comme à un bastingage par une mer démontée. Les gens qui étaient là […] l'applaudirent fréquemment, ce qui lui fit jeter vers eux un regard à la fois ironique et apitoyé, un regard féroce en fait à son propre égard. »
Parfois elle doit porter des gants pour masquer les traces d'injection qui parsèment son corps, ses mains. Elle titube et chante grâce à l'aide de ses musiciens qui la soutiennent physiquement.
Elle a des oedemes aux jambes, s'alcoolise du matin au soir.
Le 15 Mars 1959 Lester Young, son frère de coeur, meurt. Ses amis veulent la faire hospitaliser, elle ne se remet pas de ce nouveau deuil, son état se dégrade, ses addictions s'empirent. Le 30 mai, après être tombée chez elle, elle est admise à l'hôpital d'Harlem. On lui donne de la méthadone, sa santé semble s'améliorer. Mais quelques jours plus tard son état de santé s'aggrave. Elle décède le 17 Juillet 1959 à 3h10 du matin à l'hôpital, entouré par deux policiers.
Billie Holiday inspirera de nombreuses chanteuses, dont Amy Winehouse qui connaitra un destin similaire. Comme Billie, Amy Whinehouse, au caractère bien trempé, brillante elle écrira essentiellement des chansons d'amour, et se brulera les aîles avec ses consommations de drogue.
Billie Holiday nous fascine par le melange de force et de fragilité qui coexistent en elle, par son destin qui fait d'elle une héroïne: Causette menant seule son destin sans la précieuse aide de Jean Valjean.
Elle n est pas bien née, son enfance est des plus difficiles et pourtant elle se place au dessus des classes sociales au dessus de toute ségrégation et des conventions qui etriquent les femmes de l époque par la manière dont elle vit sa vie de femme.
Autodidacte jeune fille noire, sans sous, elle se hisse parmi les etoiles du Jazz elle qui n a jamais pris un cours de Solfège et qui refusera toujours d'en prendre.
Peu engagée politiquement, contrairement a Nina Simone, qui travaille avec acharnement, elle apprit le solfège, la musique et le chant, Billie Holiday vit sa vie en toute liberte, ne travaillant que par plaisir puis au fil du temps pour user de ses drogues.
Ses fragilités de femme amoureuse la rende terriblement humaine, attachante.
C est une guerrière et une femme portant en elle des plaies ouvertes, mais elle est avant tout une femme forte en recherche de sensations fortes, une héroïne courageuse qui défie l'adversité, une femme émancipée.
Émancipation et drogues illicites dans les années 30
L entrée dans les "drogues" chez les femmes se fait souvent avec un homme et peut être envisagée comme une forme d émancipation par la drogue, une volonté de gommer les inégalités hommes femmes, une revendication d un statut égal d'un plaisir masculin ou une volonté d être un dans cet amour passion ..de fusion "à la vie à la mort.
Lorsque dans un couple un homme souffre d alcoolisme les femmes restent dans la grande majorité des cas; a l inverse si c'est la femme qui souffre d'alcoolisme la séparation est presque inévitable.
Mais revenons sur l'aspect émancipation de la prise de drogue chez la femme au début du 20eme siècle.
Plusieurs auteurs se sont penchés sur cette problématique.
"L'usage de drogues fait partie de la panoplie des accessoires qu'utilise la femme pour revendiquer le droit au plaisir à l'émancipation"* Olivier Thomas, Toxicomanie féminine"
Anne Coppel écrit: "A deux reprises au cours de l’histoire, les femmes ont été" associées aux drogues: entre dépendance et autonomie, ces consommations ont accompagné un changement de rôle. A la fin du XIXe, « les morphinées », figures de la Femme Fatale, incarnent la puissance maléfique des femmes ; c’est là une figure traditionnelle mais elle participe de la conquête d’une individualité que leur refuse la division sexuelle des rôles. Dans les annéess 1920, la garçonne, figure de la Femme émancipée, revendique les mêmes plaisirs que les hommes ; elle aime l’aventure, la vitesse et la cocaïne."
En 1922 est publié "La garçonne", de Victor Margueritte. L'histoire d'une jeune femme de la bourgeoisie indépendante menant une vie sexuelle très libre avec des partenaires aussi bien masculins que féminins. Revendiquant le droit au plaisir, consommant opium et alcool elle se sort de l'addiction grâce à l'amour d'un homme (passion amoureuse).
Comme son modèle, Bessie Smith, alcoolique et fumant du cannabis, Billie pourrait jouer ce rôle de la "garçonne", jouant des poings dans les centres de redressement et dans la rue, chanteuse femme dans des groupes de musiciens masculins, adoptant des comportements masculins, Billie est une femme libre qui n'a que faire des conventions à une époque ou celles ci sont très marquées.
Comme cette garçonne l amour est envisage par Billie comme redempteur. La plupart des chansons écrites par Billie Holiday parlent de sa vie, de ses amours surtout.
L'amour est placé au dessus de tout, la quête de Billie c'est d'être aimée. Dans une de ses chansons adressée à un de ses amoureux elle ecrit qu'elle aimerait être a côté de son homme, lui faire des petits plats et des enfants... à l'opposé de son train de vie, une belle déclaration d'amour donc.
Dans "lady sings the blues", elle chante, "elle se sent si triste, mais elle ne mourra pas, parcequ'elle l'aime".
La pulsion de vie chez Billie c'est l'objet de la passion, c'est l'amour, l'amour passionnel qui doit la délivrer de son passé et l'aider à supporter le présent. Remède et Poison la passion est un pharmakon comme un autre...
Dans la passion, ce que tendent à montrer les philosophes grecs, l'objet devient plus important que le sujet, la personne s'efface, se soumet, se sacrifie. La passion pour les stoiciens et Platon est à éviter, trop de passion tue la raison. La passion mène à l'erreur, à la subjectivité, au desespoir. La passion est un oxymore de la liberté.
On retrouve des écrits sur la passion et l'addiction. L'addiction est ainsi comparée à une passion néfaste, destructrice.
Olivier Thomas écrit, dans Toxicomanie féminine*: "De Neuter écrit que la passion, le lien amoureux, pourrait avoir dans l'économie psychique de certaines passionnées une fonction de protection contre une "destructuration psychiquement ou physiquement mortelle quand bien même celle-ci peut être source de grandes craintes, angoisses et souffrances...(..)..cette fonction de suppléance nous introduit à une dimension spécifique de la toxicomanie féminine: elle concerne les femmes qui souffrent d'un défaut de reconnaissance radicale et d'un défaut de travail de deuil. Ces défauts vont se compenser par la création d'une fiction d'enfant et l'élévation de l'objet de la passion à la cause de tout".
Cet extrait d'olivier thomas est assez evocateur des problematiques diverses qui animent Billie. Il est à noter qu'une des chansons de Billie Holiday, "Lady sings the Blues", est un récit romancé de son enfance. Une fiction en somme, une réécriture de sa petite enfance.
La passion sous forme de l'addiction est considérée par nombres d'auteurs psychanalytiques comme une réponse à la depression. Et les séparations précoces en sont un facteur de causalité.
Derrière les passions amoureuses de Billie aussi libre qu'elles paraissent, apparaît un manque...
On peut se poser s'interroger, au regard de ses passions amoureuses, sur ce choix presque masochiste chez Billie, choix qui se répète.
La répétition du même type d'hommes chez Billie, tous violents est, au sens psychanalytique, lié à la répétition d'un traumatisme.
"La répétition est, comme le savent les psychanalystes, intimement liée au vécu d'une situation traumatisante: les névroses traumatiques sont le fait, pour une personne qui a vécu une expérience horrible, de la revivre en pensée, en rêve ou plutôt en cauchemars, de revoir se dérouler, même en état de veille, l'évènement qu'elle voudrait oublier, nier, ne pas avoir vécu. Tout se passe comme si répéter le traumatisme, sous une forme symbolisée ou atténuée, était le seul moyen de tenter de le digérer, de l'intégrer dans son psychisme, de finir par le transformer en souvenir. Un évènement "traumatique" peut être dit inébranlable, c'est à dire que le psychisme ne peut lui assigner une place de souvenirs, et que l'oubli ou le refoulement ne sont tout simplement pas possible".
Il n'y a pas de hasard dans les amours de Billie Holiday, ce ne sont que des reproductions d'une situation infantile, du déjà vécu, terrain connu. On peut se poser la question de l'enfance de ses compagnons. La plupart des hommes violents ont-ils eux aussi connu une enfance violente?.
L'histoire transgénérationnelle a pu être ici un facteur aggravant de depression, en plus de sa propre vie, de ses propres traumatismes.
Selon Joyce Mac Dougall, l’addiction s’explique "certes par une recherche consciente du plaisir, mais aussi par la recherche d’analgésie de souffrances et de conflits remontant souvent à l’enfance, cette temporalité renforçant l’emprise de l’addiction. L’économie psychique addictive permet alors au sujet de réduire les tensions psychiques liées à des affects désagréables ou même agréables. D’après de nombreux travaux sur la personnalité des sujets addictés, on retrouve certains points communs : – des sujets atteints d’une certaine dépressivité, avec carences identificatoires et recours à l’agir notamment par les comportements addictifs ; – d’une façon courante aussi, des patients qui ont été affectés par des traumas plus ou moins précoces, équivalents de ruptures ou de séparations engendrant des sentiments d’abandon, de perte".
Les traumas personnels, l'abandon
Des études sur l’attachement (Main et al., 1985) montrent que les mères ayant eu une enfance traumatique ont généralement des enfants qui ont un attachement « insécure » à leur mère. Les mémoires de l'abandon se transmettent ainsi sur les nouveaux nés de la génération suivante.
Or nous savons aujourd'hui que tous les traumatismes physiques ou emotionnels subis dans l enfance ont de graves répercussions sur la santé physique et mentale.
Une Étude américaine nommée ACE (Adverse Childwood Expérience Ou expériences négatives de l enfance) a évalué les traumatismes physiques ou émotionnels des différents patients et de leurs conséquences sur leur santé. Cette etude révéla par exemple que les patients qui affichaient un ACE de 7, mais qui ne buvaient pas, ne fumaient pas et n étaient pas en surpoids, présentaient néanmoins des risques de maladies coronariennes, ces dernières consitituant la première cause de mortalité aux USA.
Et l on constate que La grande majorité des grands addicts ont eu dans leur enfance à souffrir d abandon, de maltraitance et abus sexuels.
Le film "Sleepers" de Barry Levinson, 1996, avec Robert de Niro, Brad Pitt, Kevin Bacon, Dustin Hoffman entre autres, tiré d'un roman de Lorenzo Carcaterra écrit en 1995 et basé sur des souvenirs de jeunesse de l'auteur, évoque les répercussions des traumatismes de l'enfance à l'âge adulte. Quatre enfants sont envoyés en maison de redressement où ils vont subir abus sexuels et maltraitances. Deux d'entre eux s'en sortiront contrairement aux deux autres. Ce sont les plus maltraités, les plus massacrés qui termineront junkies et délinquants.
L'histoire de Billie correspond à une histoire personnelle et familiale douloureuse, voir tragique: Femmes victimes d'abus sexuels et de maltraitances sur plusieurs générations.
Y a t-il eu minimisation de la part de la grand mère paternelle en raison du caractère presque commum de ces actes à cette époque sur les esclaves? Minimiser, comme banaliser c'est faire perdurer l'acte.
La minimisation permet l'intégration sans opposition. Et c'est ainsi un facteur de répetition.
Matteo Selvini (1995) montre combien la minimisation de la souffrance, si elle est, pour la génération qui l’a vécue, une manière de survivre, devient un piège pour la génération suivante. Selon lui, cette minimisation de la souffrance dans l’histoire des parents constitue un des principaux facteurs de risque (et non pas un facteur causal) dans le déclenchement, à la génération suivante, de pathologies psychiatriques graves.
L'alcool et les opiacés sont des médicaments de l'âme. On retrouve souvent derrière de tels consommations des états depressifs qui se renforcent avec le produit mais qui préexistaient avant les premières consommation.
Avec une telle histoire familiale, une enfance faite de séparations et de maltraitances, de deuils et d abandon..on a de nombreuses causes d un état dépressif. La rage de vivre qui anime Billie Et qui l a hissée au sommet malgré son histoire personnelle a pu au fil des années faiblir au gré des réminiscences des histoires familiales et traumatismes divers portés par Billie Et par les femmes de l arbre généalogique de Billie.
Et on peut comprendre que pour cette femme les deux deuils de personnes "soutient", de "béquilles", sa mère et son frère de coeur, puissent s'avérer fatales alors qu' elle est fragilisée par les drogues et l alcool.
Les deuils chez les personnes addict sont des moments douloureux et délicats qui justifient de la part des personnels soignants une attention toute particulière. Ils viennent renforcer l'impression de vide et de solitude et ..le manque bien connu des heroinomanes.
L histoire de Billie Holiday peut se voir ainsi : l histoire d une héroïne des années 30, une femme forte se jouant de l adversité, la défiant même!, libre, ivre de passion et de rêves, détestant les séparations au point d accepter l'inacceptable rattrapée par ses failles, achevée par deux décès qu'elle ne pourra encaisser et enfoncée par la folie des lois prohibitives qui lui ont refusé l accès au rôle de malade. Elle qui se définissait pourtant ainsi quand on l interrogeait sur sa toxicomanie..
Et cette addiction non traitée fut un phénomène aggravant.
Ce rôle de malade de l'addition est reconnu désormais. L avancée des neurosciences et les études sur le cerveau ont permis de mettre en lumière le fonctionnement du cerveau.
Si l'héroïne, et plus largement les opiacés, fut considéré par Bernard Roques comme peu neuro-toxique, il n'en demeure pas moins qu'elle a une action directe sur le cerveau et crée donc un déséquilibre.
En agissant principalement sur les endorphines et la dopamine, les opiacés dereglent l'équilibre du cerveau.
William Burroughs "le festin nu", Drieu de la Rochelle "le feu follet, Jean Cocteau "journal de désintoxication" et bien d'autres ont évoqué la dépression qui suit une consommation d'opiaces. Dépression qui peut s'avérer fort longue et que l'on explique aujourd'hui par des systèmes endommagés dans le cerveau. On estime que cette dépression post opiacés peut durer jusqu'à deux ans. Une étude chinoise tend à démontrer que ce déséquilibre peut être à vie.
C est donc l'intérêt des traitements de substitution aux opiacés (methadone, buprenorphine, héroïne médicalisée..diamorohine de son petit nom) de pallier à ces conséquences.
Les traitements de substitution, dont elle bénéficiera un temps, juste avant de mourir, ont cet intérêt en plus de soigner l'addiction, de colmater la douleur et d agir tels des anti-dépresseurs.
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